Depuis
son départ, de plus en plus, surviennent ici et là des témoignages concernant
Yal, qui disent la difficulté d’avoir à s’exprimer face au vide que sa
disparition nous laisse. (Bien entendu, cette phrase est déjà fausse en partie
– ce vide que nous pensons ressentir est tout sauf vide, puisque Yal nous fait
parler, le bougre, et surtout parce que tous ses écrits sont là qui demeureront
l’un des plus beaux témoignages de celui qu’il fut.) Pour moi, chaque jour
depuis ce triste matin qui ne peut pas se faire oublier, je contemple un espace
blanc sur un fond bleu : j’ouvre Word et je tente d’écrire quelque chose.
(J'aime beaucoup cette photo. Son auteur excusera je l'espère cet emprunt.) |
J’échoue.
J’aurais tant voulu sinon dire quelque chose lors des funérailles, au moins remettre un mot à Sara.
J’aurais tant voulu sinon dire quelque chose lors des funérailles, au moins remettre un mot à Sara.
J’ai
échoué.
Puis
les témoignages que je citais ont commencé d’exister dans cet espace que l’on
prétend virtuel mais qui témoigne pourtant plutôt bien de nos vies – de la même
manière qu’on peut le faire autour d’une table de bistrot. Jusqu’à ce moment,
même dans cette virtualité, j’ai échoué encore à parler de Yal.
Alors
peut-être devrais-je simplement dire, en peu de mots, ce que rencontrer Yal a
pu être pour moi, dire brièvement les trop rares moments qui nous ont réunis,
lui qui était à la tête de tant de mots et moi de si peu.
Bien
entendu, chacun peut définir l’homme public, tantôt l’auteur et tantôt
l’individu. Il était notre conscience. Non d’auteurs de science-fiction
(quoique), mais d’êtres humains. Il savait à merveille transmuter ses colères
en grandes œuvres. Car il était un homme de colères, d’indignation, d’engagement,
de rébellion. Et dans le même temps c’était un être sincèrement gentil, à
l’écoute, tendre et drôle.
J’ai
dû croiser Ayerdhal pour la première fois, de près, à Nancy lors de l’une des Galaxiales, sans doute en 1998. Je
l’appelle à dessein Ayerdhal, car alors nous ne nous connaissions pratiquement
pas. Je venais de lire Parleur, et
avant cela je m’étais délecté de Genèses,
cette anthologie qu’il composa et qui pour beaucoup devait marquer une date
dans l’histoire et le renouveau de la science-fiction française – que
dis-je : francophone… Je voyais en lui un écrivain qui ne se contentait
pas de raconter des histoires, même si le désir de raconter était évidemment ce
qui faisait vivre ses livres. Il racontait des histoires possédant un sens,
possédant un poids, possédant une éthique.
Nous
nous sommes revus à Nantes, on me pardonnera de ne pas courir sur le web
vérifier l’année de ces Utopiales qui
virent apparaître le Droit du Serf (2000 ?).
Je voyais en lui un écrivain soucieux des conditions de production de son
travail et de celui de ses pairs, un écrivain prompt à lever le poing pour
rappeler l’utilité et la nécessité de la solidarité, du vivre et agir ensemble,
du syndicalisme. Il nous disait de ne pas vivre à genoux.
Des
flashs, des images, des souvenirs... Septembre 2008 : Yal a une adresse à
Bruxelles. Et beaucoup plus qu’une adresse… Octobre 2010, on se frôle aux
obsèques d’Alain le Bussy. On parle un peu. Sara note que j’ai une drôle de
tête. On se dit qu’il faut qu’on se voie ailleurs qu’aux enterrements. Mais je
ne serai pas allé à Bruxelles, partager quelques boissons dans un bistrot de la
Barrière de Saint-Gilles ou d’ailleurs…
Mons
2013, Trolls et Légendes : je
déambule autour des tables de signatures et j’avise Yal aux côtés de Pierre
Bordage. On se fait signe et il laisse tomber le stylo pour se lever et se
pencher vers moi, on s’embrasse. Yal, qui venait de sortir Rainbow Warriors, ne veut pas me parler de son bouquin : il
s’inquiète de ma santé ! Il n’aura de cesse que je lui explique que mes
ennuis cardiaques de février, cette année-là, n’auront été qu’un incident, une
alerte mineure. Alors qu’au même moment celui qui se prétendait mon éditeur
semblait prêt à retarder la sortie de mon gros recueil à cause de cette
échographie cardiaque intempestive, Yal ne voulait qu’une chose – que je le
rassure. Un comble. De la gentillesse, du soutien, un grand sourire : tout
ce dont j’avais alors besoin. J’ai alors vu en lui un véritable ami.
Plus
tard, il y aura cette aventure burlesque (c’est ainsi que je le définirais
aujourd’hui, c’était moins drôle à l’époque) autour de mon recueil, de celui de
Martin Lessard et des textes d’un certain nombre d’autres écrivains, lâchés par
cet éditeur qui disparaissait soudain – et tous les problèmes soulevés par le
sort de nos œuvres et la récupération de nos droits. Non seulement Yal aura été
notre soutien du début à la fin, mais il intervient alors personnellement,
médiateur jouant les bons offices quand l’autre partie ne voulait même plus
nous parler. Une drôle d’aventure, que l’on dira être de celles qui soudent
encore un peu plus des liens. Sara, elle aussi, perdit quelques plumes lors de
cet épisode étrange.
Pendant
ce temps, après Rainbow Warriors, Yal
nous offrait Bastards, ce roman
d’espionnage dont le héros et les acteurs étaient pour partie des écrivains, et
des vrais, roman qui virait science-fiction et mythologie féline, et dans
lequel je ne cesse de voir passer l’ombre de Jacques Tourneur. Un chef d’œuvre
supplémentaire s’il en fallait. Nous ne savons pas encore qu’il pourrait aussi
être le dernier, si la reprise de Cybione ne sort jamais… Le 9 mai 2014, la
Librairie Libris Agora de Namur organisait une rencontre en duo : Ayerdhal
et Stefan Platteau, qui venait de se révéler aux lecteurs en publiant Manesh aux Moutons Électriques, ce
magnifique mélange de mythes et d’aventures entre fleuve et forêt... Quelle
rencontre ! Un pur moment de bonheur, un ping-pong jouissif entre deux
auteurs et leur public. Je tombe dans les bras de Yal et de Sara. Et très vite,
une envie : rééditer cette belle expérience vers chez moi, à Liège. Le 21
novembre, ce sera chose faite, grâce à la complicité de Julien Vanderhaegen et
des libraires de Livre aux trésors.
Là encore, une belle rencontre, il en demeure des traces sur le blog de Julien.
Mais je n’y serai pas : malade comme un chien (pauvres chiens…), je suis
fiévreux et sans voix. Les beaux rendez-vous manqués, c’est l’histoire de ma
vie…
Et
puis… Toujours engagé envers les auteurs, ses pairs, ses frères, Yal aura été
en 2013 parmi les fondateurs de Multivers, maison d’édition numérique équitable
qui est une manière insolente et efficace de sauver les livres dits
« indisponibles » et de contrer le monstre ReLIRE. Il m’offre alors,
après les péripéties de l’année 2014, d’y accueillir mon recueil mort-né.
Encore de l’engagement concret, encore de la générosité…
Et
puis… Nous avons suivi ce que nous ne voulions pas suivre. Mais Yal ne cachait
rien. Il assumait, il racontait, il avançait, frontal, face au crabe. La
maladie. La chimio. La chirurgie. Les soins intensifs. Le retour du côté sombre
de la force. Pas envie de développer, non vraiment pas envie. Yal avait cinq
ans de moins que moi. Bien plus grand auteur que moi, il était aussi plus
jeune. J’en ai marre de voir partir ceux qui sont plus jeunes que moi…
Je
pensais que 2015 avait mal commencé lorsque nous tous, les écrivains
francophones de science-fiction, avons perdu notre référence, Michel Jeury. Je
me suis dit que le reste de l’année se passerait mieux, même si le petit
cimetière de Villedieu semblait accueillant, et le ciel par-dessus étonnamment
clair. Mais le 3 novembre dernier, au crématorium d’Uccle, j’ai vu Joëlle
Wintrebert et Henri Lehalle, et nous avons bien dû convenir, tous les trois,
que se voir deux fois la même année lors de funérailles, cela commençait à
bien faire…
Bruxellois
par choix, Yal aura donné une nouvelle à la belle anthologie de Michel
Dufranne, Bruxelles Noir. Maintenant,
Bruxelles est carrément noir, c’est certain…
Yal
Ayerdhal. Pour toujours.
Écoute-moi
Pauvre monde, insupportable monde
C'en est trop, tu es tombé trop bas
Tu es trop gris, tu es trop laid
Abominable monde
Écoute-moi
Un Chevalier te défie
Pauvre monde, insupportable monde
C'en est trop, tu es tombé trop bas
Tu es trop gris, tu es trop laid
Abominable monde
Écoute-moi
Un Chevalier te défie
(J.
Brel)
Merci Dominique ; Moi je ne suis pas écrivant, juste dessineux, et j'ai essayé de gribouiller un truc, mais ça faisait mal, et j'y arrivais pas, donc je me suis abstenu, Désolé pour Sara et tou(te)s les ami(e)s, mais je trouverai, fors d'une manière ou d'une autre à rendre un salut fraternel à Yal, bien évidemment.
RépondreSupprimerMais dire cela, Jeam, c'est déjà rendre ce salut fraternel... Des bises, disait Yal.
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